Le 24 janvier dernier, le TGI de Paris rendait une ordonnance de référé satisfaisant les prétentions d'associations contre le racisme. Encore faut-il que l'ordonnance obtienne l'exequatur devant les juridictions américaines...
La LCEN n'est pas une loi de police
Suite à la publication, sur la plateforme du réseau de social TWITTER, de propos constitutifs d'injure raciale publique, de provocation à la discrimination, la haine ou la violence nationale, raciale ou religieuse et de diffamation raciale publique, plusieurs associations de lutte contre les discriminations (l'UEFJ, l'AIPJ et le MRAP) ont engagé une action à l'encontre de la société de droit américain TWITTER INC. Les demanderesses sollicitaient la condamnation de TWITTER d'une part à communiquer les données de nature à permettre l'identification des auteurs des tweets litigieux et d'autre part à mettre en place un dispositif de signalement d'un contenu illicite. Ces demandes étaient formées principalement sur le fondement de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) et sur le décret 2011-2019 du 25 juin 2011. A titre subsidiaire, les demanderesses invoquaient l'article 145 du Code de Procédure civile. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a fait droit aux demandes des associations et condamné la société TWITTER INC à communiquer aux demanderesse les données en sa possession de nature à permettre l'identification des auteurs des tweets litigieux et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ainsi qu'à mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant de porter à sa connaissance des contenus illicites, ce également sous astreinte. Si cette décision est remarquable par les condamnations prononcées, la motivation adoptée par le juge des référés doit également être relevée, ce dernier ayant écarté les dispositions de la LCEN, inapplicables en l'espèce, au profit de l'article 145 du Code de Procédure Civile. Toutefois, toute louable qu'est cette décision, son efficacité apparaà®t discutable. En effet, il est fort probable qu'elle se heurtera à des difficultés majeures lors de son exécution. 1. / Les demandes des associations se trouvaient fondées, à titre principal, sur l'article 6-II de la LCEN qui impose une obligation de conservation des données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création d'un contenu publié sur internet. La société défenderesse, étant une société de droit américain, la question se posait de l'applicabilité de cette disposition. Pour justifier l'application de la loi française, les différentes associations demanderesses faisaient notamment valoir que : - La société TWITTER était bien établie en France au sens juridique et économique du terme compte tenu « de l'activité qu'elle y conduit et des recettes publicitaires qu'elle s'y procure ». - La loi du 21 juin 2004 constitue une loi de police et de sà»reté « en tant que texte protecteur des libertés publiques, les dispositions invoquées étant pénalement réprimées ». La société TWITTER INC contestait, quant à elle, l'application de ces dispositions invoquant son statut d'entreprise américaine soumise aux lois de l'Etat de Californie. Elle contestait également le caractère de loi de police de la LCEN, cette dernière ne pouvant être qualifiée comme telle du seul fait qu'elle est pénalement sanctionnée. Il convient en effet de rappeler qu'une loi ne peut être considérée comme une loi de police que lorsqu'elle est jugée nécessaire à la sauvegarde de l'organisation sociale, politique et économique du pays. Force est de convenir que la LCEN, malgré son importance en matière de droit du numérique, ne remplit pas les conditions pour être qualifiée de loi de police. C'est pourquoi, le Tribunal a considéré que « compte tenu de l'ensemble des ces éléments, il n'apparaà®t pas avec l'évidence requise en référé » que les dispositions de la LCEN « soient applicables en l'espèce ». 2. / Néanmoins, si l'application de la loi spéciale n'a pas été admise, le Tribunal a retenu l'application des dispositions de l'article 145 du Code de Procédure Civile qui permettent, en cas de motif légitime, d'ordonner toute mesure d'instruction nécessaire à la conservation ou à l'établissement avant tout procès de la preuve de faits « dont pourrait dépendre la solution d'un litige ». Or, comme il est relevé dans la décision, « la mise en uvre de telles mesures est soumise à la loi française ». C'est donc à ce motif que le Tribunal fait droit aux demandes des associations demanderesses notamment s'agissant de la communication des données permettant l'identification des auteurs des tweets litigieux. 3. / Toutefois, bien que les associations de lutte contre le racisme aient obtenu cette condamnation, il convient désormais de procéder à son exécution, une partie qui pourrait s'avérer assez difficile. En effet, la société condamnée étant basée aux Etats-Unis, cette décision, rendue par une juridiction française, sur le fondement de la loi française n'a aucune force exécutoire sur le territoire où elle doit être exécutée. Son exécution dépend donc de la bonne volonté de la société TWITTER INC. Or, il ne faut pas oublier que dans ses écritures, TWITTER acceptait de communiquer les données sollicitées par les associations « exclusivement dans le cadre d'une commission rogatoire internationale » ou « sous réserve que les demanderesses procèdent à l'exequatur de la décision du juge français auprès des juridictions californiennes ». Au vu de ces développements, il est permis de douter du fait que la société TWITTER INC. exécute de son plein gré l'ordonnance de référé et ce malgré l'astreinte qui accompagne les condamnations prononcées. On retrouve ici une des difficultés procédurales majeures liées au caractère transfrontière d'Internet auquel la nature territoriale des législations nationales n'est pas adaptée. Coyright image : Fotolia.com Source :
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