(commentaire de Cass. Civ. 1, 4 mai 2012)
On le sait, depuis un revirement devenu un classique de
la jurisprudence , le notaire n'est plus déchargé de son
devoir de conseil par les connaissances de son client (
Cass. Civ. 1, 9 juin 1998 : pourvoi n°96-13785 ; Bull. Civ. I, n°205 et
Cass. Civ. 1, 10 juillet 1995 : pourvoi n°93-16894 ; Bull. Civ. I, n°312). Évidemment, ce principe sévère est modéré par plusieurs exceptions permettant au professionnel de s'exonérer, notamment en cas de délit pénal du client ou de négligence lourde de sa part.
Un arrêt rendu le 4 mai 2012 par la Cour de Cassation vient apporter un éclairage intéressant sur les
limites du devoir de conseil que doit accomplir le Notaire. On peut en outre penser que cette solution pourra être transposée à d'autres professions réglementées.
© photlook - Fotolia.comPour faire simple, un
Notaire avait créé une SCI familiale. Quelques jours plus tard, le mari, par l'intermédiaire du même Notaire, avait fait donation de ses parts à son épouse et à sa fille. Des créanciers de l'époux donateur, sur le fondement de l'action paulienne, ont obtenu en justice que cette donation leur soit déclarée inopposable et que les biens soient réintégrés dans le patrimoine du débiteur, outre la condamnation des deux époux à des dommages et intérêts. On perçoit donc que le but réel de l'opération était visiblement d'échapper à ces créanciers.
Dans un second temps, l'épouse condamnée a reproché au Notaire de «
ne pas l'avoir informée des risques du montage juridique proposé ».
La Cour de Cassation, valide le raisonnement adopté par les juges du fond, lesquels avaient considéré que le montage répondait à l'objectif affiché par les clients, à savoir le remboursement d'une dette entre les époux et le partage du patrimoine immobilier avec leur fille. La Cour d'appel avait pris le soin de relever (par motifs propres et adoptés, selon la formule consacrée) que les époux n'avaient pas informé le notaire de leur situation financière et du litige les opposant à leurs créanciers. La première chambre civile indique donc que la Cour «
a pu décider qu'en l'état des informations dont il disposait et des objectifs affichés par ses clients, le notaire n'avait pas failli à ses obligations professionnelles. »
Ce cas d'espèce (non publié au Bulletin, précisons-le) pose la question de la limite du devoir de conseil lorsque le client, sciemment ou non, n'apporte pas au professionnel les éléments nécessaires pour prodiguer un conseil complet.
On peut rapprocher cette décision d'un arrêt rendu le 3 septembre 2001 par la Cour d'appel de Nancy en matière de responsabilité d'avocat (CA Nancy, 3 septembre 2001 : arrêt n°1672/01 Juris Data), rédigé comme suit :
«
Attendu qu'il appartient dès lors à M. X de justifier des éléments qu'il a fournis ou qu'il était susceptible de fournir à Me Y., si ce dernier le lui avait demandé, sur les circonstances de son licenciement et plus précisément sur la consistance et le bien fondé des reproches contenus dans le courrier du 14 novembre 1986, lesquels éléments devaient être de nature à permettre à Me Y. de présenter une argumentation ou de fournir des pièces pouvant utilement et efficacement répondre aux attentes des juges et ainsi assurer à l'appelant des chances sérieuses de succès ;Or attendu que force est de constater que M. X ne rapporte pas la preuve d'avoir pu fournir de tels éléments à son avocat. »
Une espèce vient des juges du fond, l'autre des juges du droit. L'une concerne le contentieux, l'autre le conseil. Mais dans les deux cas, semble être consacrée l'exonération de responsabilité du professionnel lorsque son client ne lui a pas fourni les éléments nécessaires. En allant plus loin, on peut même y noter une inversion de la charge de la preuve : si le professionnel doit prouver qu'il a bien dispensé le conseil, il semblerait que ce soit au client d'établir qu'il lui a bien remis les éléments nécessaires pour se prononcer.
On peut cependant modérer la portée de ces décisions en pensant légitimement que la solution retenue est subordonnée, au cas par cas, à la démonstration de la mauvaise foi du client, qui ne pouvait raisonnablement ignorer qu'il retenait l'information essentielle, ou qui était animé par un dessein secret. D'ailleurs, en glissant de la question de la faute à celle de la perte de chance, on peut douter, au cas d'espèce, de ce que, même régulièrement informés, les clients du Notaire auraient décidé d'agir autrement. A défaut de démonstration d'une faute, la question n'a pas été étudiée.
Enfin, il convient de relativiser également la portée de ces décisions en rappelant que la jurisprudence reste attachée au devoir de curiosité qui pèse sur le professionnel, et qui prévaudra dans bien des cas. La jurisprudence dessine donc les limites strictes d'un principe qui reste néanmoins sévère et appelle les professionnels à la plus grande vigilance.
Source :
Eurojuris